L’OUEST MAROCAIN

Le Maroc, c’est le pays de mon père. Né à Rabat début des années 60, arrivé en France à la fin de l’adolescence.

J’y suis allée souvent enfant, j’en connais les codes, les rythmes, les nuances. Ce voyage en solitaire, c’est une redécouverte, en tant qu’adulte, en tant que photographe. Une plongée dans des ruelles que les touristes ne traversent pas, une grande balade au plus près des gens, des petits chats (beaucoup), des gestes, des silhouettes qui contrastent, des couleurs changeantes en fonction des villes et régions traversées.

Ce voyage en solitaire a réveillé quelque chose d’intime. En observant les jeunes sur les plages ou dans les rues, je me surprenais à imaginer mon père à leur âge. Sur les mêmes rivages, avec ses copains, insouciant. Comme si, à travers eux, je pouvais entrevoir un pan de sa jeunesse.

Cette (longue) série est le premier volet d’un projet au long cours. Un carnet visuel, qui s’enrichira sur plusieurs années et que je lui dédie.

Un mois sur la route, du nord au sud : Tanger, Asilah, Chefchaouen, Akchour, Fès, Volubilis, Meknès, Rabat, Essaouira, Taghazout, Agadir.

À la croisée des mondes.

TANGER

Début du périple, là où l’Europe frôle l’Afrique, entre Méditerranée et Atlantique. La ville s’étire en paliers, perchée sur les hauteurs, face au détroit de Gibraltar. On entend parfois l’espagnol dans les rues, reflet d’un lien ancien avec l’autre rive, toujours présente en arrière-plan.

Dans la médina, les murs s’écaillent, les volets vibrent, les cafés sont pleins. D’en haut, la vue sur les toits est désordonnée, chargée mais pleine de charme. À l’heure bleue, les ruelles prennent une teinte froide, tandis que l’horizon brûle encore. Les enfants courent dans les escaliers, entre ombre et lumière orangée. Des bandes de chats, comme de petites mafias urbaines, investissent chaque ruelle.

Tout semble transitoire, mais rien n’est pressé.

Blanc sur bleu.

ASILAH

À une heure au sud de Tanger, le rythme ralentit d’un coup. La médina, posée en bord de mer et ceinturée de remparts, semble coupée du reste du monde. Les murs d’un blanc éclatant renvoient la lumière comme des miroirs. Les couleurs vibrent par touches : volets turquoise, fresques murales, tissus suspendus aux fenêtres. On entend les marteaux des artisans, les pas feutrés sur les pavés.

Tout est plus doux ici, comme si le vent de l’océan calmait tout ce qu’il frôle.

Au creux du Rif.

CHEFCHOUEN ET AKCHOUR

Chefchaouen repose entre les montagnes du Rif, toute en ruelles pentues et murs bleus. Le calme y est saisissant, presque suspendu, comme si le relief coupait la ville du monde. Le bleu est partout, décliné à l’infini sur les façades, les portes, les marches.

Plus loin, à Akchour, on suit un sentier rocailleux jusqu’aux cascades. L’eau ruisselle entre les rochers, les figuiers et les piscines naturelles.

Ici, on marche, on grimpe, on s’immerge. L’air est plus frais, le vert plus dense.

Cités-mémoire.

FES, MEKNES, VOLUBILIS

Vestiges romains, médinas ocre et gestes ancestraux : ici, le temps se superpose.

À Fès, la médina déborde : ruelles serrées, gestes précis, odeurs fortes. On y marche au rythme des marchés et de leurs commerçants, des palais, des ferronniers, des porteurs qui slaloment entre les ânes. Les chatons sont nourris par les marchants. Tout est dense, ancestral, jamais tout à fait calme.

À Meknès, l’ambiance se pose. Les ruelles sont étroites, les murs rosés s’effritent par endroits, tout semble à nu. Il y a là une beauté brute, sans vernis. Des enfants jouent, des commerçants discutent, des ânes passent au ralenti. Tout est vivant, simple, ancré.

Et puis Volubilis, étendue sous le ciel. Des ruines romaines dressées au milieu des champs, presque seules. Le silence s’impose, le paysage efface les siècles.

Vers le large.

RABAT

Capitale administrative du pays, Rabat est à l’opposé du tumulte casablancais : posée, sobre, ouverte sur l’océan. Carrefour entre tradition et modernité, entre murailles anciennes et tramways contemporains. Dans la médina, les portes sculptées, entrebâillées, intriguent. Laissant deviner des riads calmes et lumineux, qu’on aimerait pousser du regard.

Une transition délicate vers un autre pan de mon périple, tourné vers la lumière et le large.

Rempart sur l’Atlantique.

ESSAOUIRA

Ville côtière sculptée par le vent. L’air y est chargé de sel, les murs blancs tranchent sur le bleu franc du ciel. Dans les ruelles, les commerçants berbères boivent le thé sous des tentures épaisses ou attendent dans leurs échoppes sombres et profondes, pleines d’objets accumulés. Les pêcheurs s’affairent sur le port, les cordages s’entrelacent, la lumière glisse au pied des remparts.

Rien n’est figé : ici, tout flotte, le sable, les filets, les gestes du quotidien.

Fin de parcours aux portes du Sud. Deux visages d’un même littoral : l’un solaire et alangui, l’autre en pleine mutation. Dernière étape de mon voyage, entre mer, béton et sable chaud.

Hors du temps

TAGHAZOUT

Ancien village de pêcheurs devenu repaire de surfeurs, Taghazout garde une beauté brute et tranquille.

Une ambiance presque spirituelle : ses chatons endormis dans le sable, ses cafés bohèmes, ses pick-up rouillés par le sel, sa lumière indéfinissable… Ici, tout semble s’être posé sans urgence. Au-delà, c’est autre chose : le Sud, le désert, le dépouillement.

Aux portes du desert.

AGADIR

Reconstruite, tracée au cordeau, Agadir pousse vers le sud comme une ville en devenir. Elle étale ses grandes avenues et ses immeubles récents face à l’océan. Ses lignes modernes côtoient le relief sec et la lumière crue, entre industrie et horizon désertique

Dernière grande ville du sud, elle marque la fin de ce premier périple et trace déjà la ligne d’horizon du prochain : celui du désert.

Ce voyage m’a permis de créer de nouveaux souvenirs, avec un regard d’adulte. Il a nourri mon lien avec ce pays que je connais depuis toujours, mais que j’apprends à voir autrement.

Un road trip fait de longues heures de route, à traverser le pays en bus, en taxi, parfois en train. Chaque étape m’a rapprochée, par l’image et la marche, de ses lumières, de ses gestes, de ses reliefs.

Ce premier volet s’achève ici, au bord du désert. Mais ce n’est qu’un début. La suite se dessinera du sud au nord, à travers les étendues désertiques et les montagnes de l’Ouest, jusqu’aux frontières nord de l’Algérie.

Un autre rythme, un autre Maroc, à explorer.

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